Ouvrir les possibles par la création: article sur l'ART-THÉRAPIE paru dans La petite fabrique n°15

Ouvrir les possibles par la création

La vie en société peut nous amener à nous coller des étiquettes que nous gardons sur le front comme si elles nous définissaient. Ces étiquettes ne nous montrent qu’une seule direction, lorsque la vie est multiplicité. En accompagnant chacun/chacune, à s’exprimer dans, avec et par la matière, je m’aperçois qu’il est possible de les faire bouger. L’art thérapie permet de mobiliser les ressources de la personne et non de la cantonner à l’identification de ses difficultés ou de son handicap. 

Dans mon atelier, on plonge ses mains dans la terre, on réactive ses sens : toucher, ouïe, odorat, regard. J’accompagne chacun à venir explorer les différents états de l’argile et notamment la barbotine (argile liquide, diluée avec de l’eau) avec le jeu de la planche à barbotine. Chaque participant a une grande planche noire et un saladier de barbotine. Au fil de l’atelier, je propose différents jeux comme une invitation à découvrir la matière et à ré-explorer les possibles avec ses doigts, ses mains, ses bras,... Les personnes peuvent balbutier au départ, puis leur expression sur les planches devient de plus en plus dense et libérée. Seul compte le plaisir du jeu, de créer, d’inventer et de partager l’instant. Plonger ses mains dans l’argile, en faire l’expérience avec tous ses sens, permet un retour à ses propres racines et à son propre pouvoir créatif, parfois même insoupçonné.

Avec l’argile, il est éternellement possible de recommencer ou de se tromper. Il est aussi possible d’oublier le regard que l’on porte sur soi, pour le laisser s’exprimer en jouant avec les empreintes. Une première trace réalisée avec la terre en incite une autre et, tels des dominos, les empreintes se multiplient. L’imaginaire peut prendre place. On imagine un monde, on reconnaît une forme qui émerge et nous appelle à jouer avec elle. On voyage avec la matière, porté dans un ailleurs, la créativité et l’expression du corps prennent toute leur place.

Le jeu, l’imaginaire, le sensoriel, permettent le décalage pour atteindre l’authenticité de la personne. Il s’agit de repousser les craintes, les peurs, comme la crainte de faire “pas bien” ou de la réussite absolue (perfectionnisme). C’est aussi une façon de repousser la crainte de la feuille blanche, le fait de partir de rien. 

L’art thérapie, comme l’explique Jean Pierre Klein, se base sur la création comme processus de transformation. Il ajoute : “Ce travail subtil qui prend nos vulnérabilités comme matériau, recherche moins à dévoiler les significations inconscientes des productions qu’à permettre au sujet de se re-créer lui-même, se créer de nouveau, dans un parcours symbolique de création en création.” 

J’observe que l’art thérapie peut aider à défaire le pli que l’on s’est collé à soi-même ou que les autres nous ont collé sur le corps. Défaire un à un les plis qui dérangent en les transformant, en leur donnant une autre forme. Une autre forme dans la matière, ici dans la terre. Mon rôle d’art thérapeute consiste à procéder à un dé-pli de la situation dans laquelle se trouve la personne à l’instant T, par le biais de la création, pour lui permettre de se saisir et de déployer ses entrelacs. Accompagner la personne pour qu’elle puisse chercher du soi à soi, du soi à autrui, de sa création à celle d’autrui. Oser, s’autoriser à créer, pour exprimer ce qui est en soi par la mise en forme de la matière. Car, le problème n’est pas qu’en soi, pas qu’en dehors de soi. Il est à la rencontre de ce qui vient de soi (son histoire, ses désirs, ses manières d’être, de penser, d’agir) et de ce qui vient du dehors (l’environnement et ses composants dont les autres, ses enjeux, ce qui s’y joue, s’y passe, s’y transforme). C’est entre les deux que ça se noue, se bloque. Ce point, il faut l’ouvrir et découvrir que l’on n’est “pas tout à fait” tel que l’on croyait être, que son environnement n’est “pas tout à fait” tel qu’on l’a construit dans sa tête. C’est entre ces deux “pas tout à fait” que se dessine un passage, une ouverture pour une transformation possible.


Laure Bathol

Artiste et Art-thérapeute

Fondatrice d’Atelier Nouveau

Article paru dans La petite fabrique n°15 - printemps 2022

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Laure Bathol